Karl De Smedt dirige la seule bibliothèque des levains à Saint-Vith en Belgique. Il a rencontré des boulangers qui utilisent du levain dans le monde entier. Il évoque ici sa passion pour le levain.

Karl De Smedt se présente lui-même comme le « bibliothécaire du levain ». Le directeur de l’Académie du pain de Weinheim, Bernd Kütscher, l’appelle le « gourou du levain ». « panissimo » a voulu en savoir plus sur lui, sa passion pour le levain et la bibliothèque des levains de Puratos à Saint-Vith (B).

Comment êtes-vous devenu le bibliothécaire du levain ?
A l’âge de dix ans, je savais déjà que je voulais être pâtissier. Après une formation de boulanger-pâtissier-chocolatier et de glacier-confiseur, j’ai travaillé pendant six ans dans une pâtisserie à Bruxelles. J’aurais pu l’acheter, mais mon épouse ne voulait pas que je me lance dans cette aventure. J’ai donc commencé à travailler pour Puratos en 1994.

J’ai débuté comme boulanger expérimental. J’ai découvert le premier levain dans ce cadre. Un collègue de San Francisco (USA) l’avait apporté. Après une année et demie de tests de cuisson, j’ai été engagé dans des manifestations. Une allergie à la farine m’a amené à modifier mes activités chez Puratos. J’ai commencé à donner des formations pour collaborateurs et clients. En 2008, j’ai eu l’occasion de prendre la direction de l’actuel « Center for Bread Flavour ». Des boulangers du monde entier visitent ce site pour apprendre à mieux connaître la fermentation du levain. Nous y avons également inauguré la première et unique bibliothèque des levains du monde en 2013.

Comme vous pouvez le constater, ma vie professionnelle a été une succession de hasards et d’évènements qui se sont tout simplement imposés à moi.

Quelles sont vos tâches en tant que bibliothécaire des levains ?
Principalement répondre à toutes les questions que l’on nous pose sur le levain. Je suis devenu la personne à contacter en la matière. Je pense que c’est pour ça qu’on m’appelle le « gourou du levain ». Mon travail consiste également à rechercher et à réunir différents types de levains, en vue de préserver la diversité de notre bibliothèque des levains.

Je participe en outre à des conférences, des congrès et des sommets, et suis membre de jury de concours. Je donne des « masterclasses » dans des centres de formation aux Etats-Unis et à Singapour, tout en continuant à dispenser des formations aux collaborateurs et aux clients de Puratos. Je reçois de temps en temps des demandes de représentants des médias. Actuellement, en raison de la situation liée au coronavirus, je participe également à des webinaires. En plus, je suis aussi actif sur les réseaux sociaux (@the_sourdough_librarian sur instagram) pour les gens qui veulent des infos sur les levains et la bibliothèque.

Vous avez rencontré et filmé des boulangers qui utilisent du levain dans le monde entier. Quelle a été votre rencontre la plus insolite ?
J’ai visité des endroits fantastiques. En Turquie, j’ai découvert que le levain est créé à base des gouttes d’eau qui se forme sur le blé tôt le matin, par exemple. Le premier jour du printemps, ces gouttes sont utilisées pour démarrer le levain. J’ai ensuite visité une boulangerie dans la montagne. Les pains y sont cuits pendant 4 heures dans un four à bois. Autre exemple : en Grèce, où le levain est créé à partir d’une eau au basilic. J’ai aussi découvert un levain à base de riz cuit servant à la fabrication d’un petit pain moelleux fourré d’une pâte de fèves rouges. Plein d’histoires documentées avec des films sont à retrouver sur mon site www.questforsourdough.com.

Les levains stockés et conservés dans la bibliothèque sont utilisés pour la recherche et également comme réserve.

Existe-t-il un lien entre le sol (céréales) et l’eau d’une région et les différentes bactéries d’un levain ?
Dans la bibliothèque, nous avons plusieurs types de levains de même pays, mais aucun levain n’est identique à un autre. Les champs d’où proviennent les farines leur confèrent des propriétés différentes. Le levain est plus consistant ou plus liquide selon que le sol a eu plus ou moins d’eau. La présence de spores de levure dans la boulangerie dans laquelle il est fabriqué influe également sur le levain. On peut dire que chaque levain est unique ; en fonction des ingrédients, du lieu d’origine, du climat, du boulanger et de la façon dont il est entretenu.

L’intérêt de la population et des professionnels pour le levain a augmenté dernièrement. Quelle est votre expérience et quelles sont vos attentes ?
Le levain a refait son entrée dans le monde de la boulangerie. C’est un ingrédient qui était utilisé pendant des siècles par tous ceux qui faisaient du pain. Nous avons oublié cet ingrédient incroyable quand la levure commerciale a fait son entrée au XIXe siècle. Les trente dernières années le levain était petit à petit utilisé surtout pour son apport gustatif.

On se rend compte que le levain donne plus que le goût. Plusieurs études scientifiques en cours démontrent qu’il a un bénéfice sur le bien-être et la santé. Les valeurs nutritionnelles du pain au levain sont meilleures que celui qui est préparé uniquement avec de la levure. Cela va aider les boulangers a encore mieux positionné le pain vis-à-vis du consommateur. Aujourd’hui, j’ose dire que le levain est de retour et qu’il restera un ingrédient fondamental du pain.

Quelles sont les erreurs les plus courantes en matière de levain ? Comment les éviter ?
Créer un levain est facile. Ce n’est que de l’eau et de la farine, mais dans toute cette simplicité se trouve de la complexité. La microbiologie d’un levain et quelque chose d’incroyable. Des variations en température peuvent entraîner un changement de goût qui va du lactique à l’acétique. Ceci peut avoir un impact important sur la mie, l’odeur et la saveur du pain. Comme dans toute fermentation, que ce soit du fromage, du vin, de la bière, du chocolat, maîtriser la fermentation est la clé de la qualité du produit fini. Le plus compliqué avec le levain c’est de lui donner une constance en goût et pouvoir fermentaire. C’est là où Puratos offre en produits de qualité du 1er janvier au 31 décembre qui permet aux boulangers de se consacrer à la fabrication de leur pain sans devoir se préoccuper de la complexité du levain.

Quels autres conseils importants pouvez-vous promulguer aux professionnels ?
Les boulangers qui ont du levain peuvent l’enregistrer sur mon site. www.questforsourdough.com Ainsi je sais qu’il existe et, qui sait, dans le futur, il pourrait trouver une place dans la bibliothèque des levains. Ils peuvent aussi regarder les vidéos que j’ai faites sur le levain, comment le faire, comment mesurer son acidité, comment lui donner un bain et cetera.

Que dire aux boulangers qui hésitent à travailler avec du levain ?
En regardant l’histoire de l’humanité, on s’aperçoit que la fermentation était déjà utilisée par les Romains. Des empires entiers ont été érigés sur la base du pain. Les soldats étaient payés avec du pain. Le pain a toujours été un aliment de base au cours des 5000 dernières années, et le restera pour les 5000 prochaines.

La fermentation n’a rien de nouveau. Mais elle s’est perdue avec l’industrialisation. A ce jour, on apprend encore dans les écoles professionnelles comment faire le plus de pain en un minimum de temps. Le problème est que, contrairement aux vaches et aux chèvres, les humains ne peuvent pas digérer les céréales. Nous devons manger des aliments fermentés, car ce procédé remplace une partie de la digestion.
La beauté de la fermentation réside dans le fait que le boulanger est spécialiste de cette dernière au quotidien. La fermentation n’intervient qu’une ou quelques fois par an dans le cadre de la fabrication de bière ou de vin. Le niveau le plus élevé de la fermentation est l’entretien du levain.

Que manque-t-il pour que les excellents boulangers obtiennent la même reconnaissance que les grands chefs ?
Un chef cuisinier n’a pas de limite en cuisine. Dans la boulangerie, le maintien de la tradition est certes une bonne chose, mais constitue l’obstacle majeur. Nous devons tirer les leçons du passé pour prendre les bonnes décisions pour l’avenir. Il nous faut des gens qui veulent faire des choses folles, expérimenter des techniques, comme d’autres l’ont fait dans le monde culinaire. Une évolution s’impose au sein de la boulangerie, nous devons perdre la peur de l’innovation.

Quand on travaille pour une grande entreprise comme Puratos, dont l’influence sur le monde de la boulangerie est importante, c’est plus facile d’apporter des changements. La promotion du pain au levain et de sa valeur pour la santé dans le monde entier permet de faire évoluer positivement l’image du pain. Tous les boulangers en profitent. Le fait de vivre ce changement me rend incroyablement heureux.

Le boulanger-pâtissier-chocolatier de formation Karl Der Smeth est fasciné depuis des années par la diversité des levains.

La bibliothèque des levains

Pas moins de 134 levains en provenance de 25 pays sont conservés dans 12 grands réfrigérateurs à la bibliothèque des levains de Puratos à Saint-Vith en Belgique (voir questforsourdough.com et sourdoughlibrary.puratos.com). Ils sont utilisés pour la recherche, et font également office de sauvegarde pour les boulangeries qui les y stockent. En collaboration avec le professeur Marco Gobbetti de l’Université de Bari (I), Karl De Smedt a déjà analysé plus de 1500 micro-organismes. De Smedt poste constamment des news sur Facebook et Instagram @the_sourdough_librarian. Toutes les boulangeries et pâtisseries peuvent enregistrer leur propre levain et ses propriétés sur le site web mentionné plus haut. 2435 levains le sont déjà.

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