A 28 ans, Simon Spring gère le Pâtissier de La Roche (FR) depuis une année ; une opportunité qui s’est présentée alors qu’il y effectuait un stage dans le cadre d’une formation en école supérieure. Non seulement le pâtissier-confiseur a accepté, mais il a aussi terminé ses études avec panache, le tout sur fond de covid. Gros plan sur le parcours atypique d’un patron, pour qui la formation post-apprentissage est essentielle.
La boulangerie-confiserie Le Pâtissier de La Roche est un lieu incontournable de la commune fribourgeoise. Fondée et exploitée par la famille Lehmann il y a plus d’un siècle, l’entreprise a changé de main en 2022…
En faire plus
Huit années auparavant, Simon Spring décroche son CFC de pâtissier-confiseur avec une moyenne de 5,8. Le Fribourgeois poursuit son parcours professionnel dans l’entreprise formatrice, au cœur du chef-lieu cantonal. Au côté de ses obligations d’ouvrier, il s’occupe petit à petit du logiciel de gestion et du système informatique. Une discussion avec ses parents, infirmière et banquier, et trois ans plus tard, il quitte la société et reprend des études. « Ils m’ont toujours dit qu’il fallait en faire plus si je le souhaitais. (…) Ce n’est pas à 22 ans qu’on a soudainement trouvé le métier de sa vie. Il ne faut pas s’arrêter à l’apprentissage. Il faut prendre le temps de penser à son avenir et oser », explique M. Spring.
Le natif de Saint-Sylvestre (FR) ne s’est d’ailleurs pas précipité sur un apprentissage au sortir de l’école obligatoire. « J’ai entrepris une dixième année linguistique. Cela m’a fait beaucoup de bien ; et pas uniquement en français. J’ai gagné en maturité physique et intellectuelle. »
Retour en 2017 où il s’inscrit à l’Ecole hôtelière de Lucerne avec le rêve en tête de reprendre un commerce. « Sans des parents propriétaires d’un établissement, c’est bien compliqué pour un jeune, de nos jours. Je me lance donc dans cette formation afin d’apprendre le management, la gestion de commerce et de trouver ma place, que ce soit dans un restaurant ou un hôtel. »
Les stages obligatoires à effectuer en entreprise dans les différents secteurs l’aiguillent, en plus de l’aider financièrement. A Zermatt (VS), il accomplit celui de cuisine et service. « Trop d’employés, pas assez familiale… J’ai compris que l’hôtellerie n’était pas pour moi. (…) L’ambiance de la boulangerie-confiserie et cette odeur de pain me manquaient. » L’année suivante, ses recherches d’un stage en service aux alentours de son village natal l’entraînent sur la route du Pâtissier de La Roche. Son magasin, son tea-room ni son propriétaire ne lui sont inconnus : « Saint-Sylvestre se situe à une dizaine de kilomètres. Je m’y étais déjà rendu à vélomoteur pour acheter des croissants. (…) J’ai toujours eu de bons contacts avec Johnny (ndlr : John Lehmann) qui était mon professeur à l’Ecole professionnelle et artisanale de Fribourg. »
Risques à prendre
Durant un semestre, il sert les clients au salon de thé. Le dimanche après-midi, il aide le patron au bureau : « Je faisais un peu la compta et me familiarisais à la gestion de commerce, au planning, aux commandes de marchandises… » Et puis, un jour, après environ un mois, John Lehmann lui propose de lui succéder : « J’avoue que la première fois qu’il m’a fait cette proposition, cela m’a travaillé. J’étais conscient qu’à 26 ans, j’étais très jeune pour reprendre un commerce. » A la fin du stage, il retourne sur les bancs lucernois. Une formation à terminer, une entreprise à reprendre alors que la pandémie se déclare… Il a jusqu’à l’été pour donner sa réponse. « Il fallait vraiment bien réfléchir. C’est une opportunité que je n’aurais peut-être plus jamais. (…) Dans la vie, si on veut vraiment réussir, il faut parfois prendre des risques. »
C’est finalement un « oui », mais il veut terminer sa formation, avec les encouragements de ses parents. « Je ne souhaitais pas me lancer dans l’aventure sans avoir appris la gestion de commerce, la comptabilité, le droit. (…) C’est autant important que d’avoir du bon personnel, de bonnes recettes et de bons produits. » Afin de concilier au mieux ses deux objectifs, le patron en devenir quitte Lucerne pour Thoune. L’école bernoise lui octroie la possibilité de réaliser une partie du stage de réception à La Roche. Il y apprend ainsi la gestion propre à l’enseigne fribourgeoise.
Ex-aequo avec une autre pâtissière-confiseuse, il réussit l’examen final avec la meilleure note. Entre-temps, il s’est officiellement mis à son compte. « Du lundi au vendredi, j’étais à l’école. Le week-end, je donnais un coup de main à mes employés. Il fallait aussi réviser, sans quoi on ne réussit pas les examens de diplôme d’une école supérieure. Mais c’est un choix que j’avais fait, je devais l’assumer. »
Une douce reprise
L’implication au sein de l’entreprise trois ans avant sa reprise officielle a permis à M. Spring d’être au contact des collaborateurs et de la clientèle ; et réciproquement. « Je suis entré dans un système qui fonctionnait et je l’ai intégré. » La succession s’est faite en douceur. Il est de même pour la suite de l’exploitation : hors de question de révolutionner l’assortiment : « Il faut être à l’écoute de ses clients. (…) On peut et doit apporter du changement, mais cela doit se faire dans le temps. Notre fidèle clientèle, différente de celle la ville, ne doit pas être brusquée. » En revanche, la qualité doit rester inchangée : des matières premières aux produits en passant par l’accueil et le personnel. Le nouveau patron a conservé les recettes. Il en a fait autant pour les 32 collaborateurs. « Les clients viennent beaucoup plus pour eux que pour moi. (…) Ils sont plus à leur écoute que moi ! » L’avis de ses employés est donc primordial : « Ils ont d’excellentes idées et surtout ils sont au front. Ce n’est pas moi qui roule ou vends les croissants le matin. Ecouter et mettre en valeur ses employés sont des points très importants. »
Bon patron, bon chef-d’orchestre
Au laboratoire, il peut compter sur son équipe. « Avec onze personnes en production, cela ne sert à rien d’ajouter une douzième ; si on peut se le permettre. J’aurais plus de contrôle, mais ce n’est peut-être pas ce dont l’entreprise a besoin.» Le pâtissier-confiseur est cependant le premier à donner un coup de main, s’il le faut ; le samedi et le dimanche pour reproduire de la marchandise, par exemple. Durant le week-end, ses employés travaillent une demi-journée. La flexibilité est de mise. Lors de la planification, si un horaire pose un problème à une personne, tout est mis en œuvre pour trouver une solution. « Nous nous y reprenons parfois à cinq fois, mais à la fin, les horaires sont adaptés au collaborateur. » Cette écoute permet à l’entrepreneur de rester attractif sur le marché de l’emploi, à une époque où les mentalités ont changé. « La vie après le travail devient de plus en plus importante. Il faut donc proposer des places qui donnent envie de travailler. »
Mettre tout en œuvre pour tirer le meilleur de sa troupe et offrir une prestation de qualité, identique au quotidien, telle est la philosophie du maître des lieux qu’il résume ainsi :« Un bon patron, c’est un bon chef-d’orchestre : dos au public, il fait face à ses musiciens. C’est de cette manière qu’on arrive à garder une équipe motivée et passionnée. »
Johann Ruppen