Le boulanger-confiseur Joël Mérigonde fréquente l’établissement fermé d’exécution de peines de La Brenaz à Puplinge (GE), depuis 2017. Ni visiteur, ni pensionnaire, le Genevois fait passer aux détenus des examens pratiques de boulangerie-pâtisserie. A la clé : une attestation cantonale officielle.

A La Brenaz, les quelque 165 détenus travaillent 32 heures par semaine. Seize d’entre eux œuvrent en boulangerie-pâtisserie. Il s’agit de l’unique activité à permettre l’obtention d’attestations professionnelles, pour l’instant.

Sur une base d’AFP
Joël Mérigonde s’occupe des examens. Il a participé à la mise en place du programme avec les autorités cantonales, la direction de La Brenaz et son responsable de formation. La durée des peines purgées varie d’un individu à un autre. La mise en place d’un enseignement sur deux ou trois ans était compliquée voire impossible. Un système modulaire s’est alors imposé. « Le programme de l’attestation fédérale de formation professionnelle (AFP) compose les deux premiers modules : boulangerie, viennoiserie, pièces sèches pour l’un, et sandwichs, canapés, pâtisserie, tourtes décorées et cakes, pour l’autre », énumère le boulanger-confiseur. La troisième partie comprend les pains surprise, deux sortes de tresse et la pâte à choux. « J’aimerais bien ajouter un quatrième volet qui serait le chocolat. Cela nécessiterait toutefois l’installation d’un laboratoire dédié. J’en ai discuté avec le directeur », complète-t-il. Cela pose toutefois des questions organisationnelles.

Poches vides, stylo et calepin en main
Lorsqu’un détenu est apte à passer un module, le formateur de la prison contacte M. Mérigonde. « Comme pour un autre examen, je planifie une évaluation et convoque officiellement un expert. » Accompagné de ce dernier, il se rend à la prison. Les deux examinateurs ne connaissent que le prénom et le nom du candidat. Lors des contrôles de sécurité, ils sont fouillés et passés au détecteur de métaux et aux rayons X. « Nos poches sont vidées. Hormis un calepin et un stylo, nous laissons tout à l’entrée. » Les experts n’attribuent pas de notes, contrairement à la procédure habituelle. Ils émettent des appréciations.
Assisté d’un aide, le candidat effectue son programme sous les yeux d’un agent de détention. Il doit réaliser quatre produits en cinq heures, par module. « Il sait exactement ce qu’il doit faire. Je vais lui dire de préparer un gâteau d’anniversaire, libre à lui de choisir lequel. Il n’y a pas de surprise, comme un AFP. L’objectif est qu’il confectionne les produits de A à Z. »
Pour y parvenir, il dispose d’un laboratoire moderne doté de l’équipement habituel. « Le premier jour, j’ai eu quelques craintes en voyant les couteaux sur la table. Je me suis rapidement rendu compte que je ne risquais strictement rien. » A la fin du contrôle, tout est vérifié et rangé dans une armoire. Chaque ustensile possède son propre emplacement. Tout objet manquant serait immédiatement remarqué.

Une chance à saisir
A ce jour, Joël Mérigonde a évalué deux détenus. Le premier candidat a réussi les modules 1 et 2, le second le 1. « Dans les trois cas, les évaluations ont été bien meilleures que la plupart des AFP. Ils sont beaucoup plus motivés. Ils avaient presque le niveau pour un certificat fédéral de capacité. (…) L’un des prisonniers a réalisé une plaquette d’anniversaire. Son écriture au cornet était aussi réussie que la mienne. Il y a ajouté une rose en massepain avec ses feuilles ; là où d’autres apprentis se seraient contentés d’une groseille et d’un bout de banane. »
L’âge des candidats et leur vécu expliqueraient en partie la qualité de leur travail et leur motivation : « Certes, ils ont fait une bêtise et ils purgent une peine pour cela. Je pense qu’ils arrivent à un moment où ils se disent je peux m’en sortir. Ils se donnent alors à fond pour saisir cette chance ; d’autant plus qu’en cas de mauvaise conduite, ils sont sortis du programme. »

Gage de sérieux
Pour chaque module réussi, les candidats reçoivent une attestation officielle du canton, délivrée par l’Office d’orientation et de formation professionnelle et dépourvue de toute mention pénitentiaire. « Dehors, ces papiers leur permettront d’être crédibles ; sans pour autant signaler que les personnes étaient en prison. »
Au début de l’aventure, Joël Mérigonde émettait quelques doutes quant à la solidité de la formation. L’implication de la direction, du personnel et surtout des détenus ont définitivement eu raison de son scepticisme. « Au vu du travail fourni, les candidats ont leur place dans une entreprise. Ils peuvent facilement intégrer une équipe et prendre la place de bon nombre de boulangers ! », conclut-il.

En terre vaudoise aussi

Genève n’est pas le seul canton à offrir une formation en boulangerie-pâtisserie à des détenus. Les Etablissements de la Plaine de l’Orbe sont membres des Artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs vaudois (ABPCV) depuis 1982. Ils proposent à certains détenus d’accéder à une Attestation fédérale de formation professionnelle (AFP) en deux ans.
« Cette formation est réservée à des prisonniers de longue durée. Ne pouvant pas sortir de l’établissement, ils y suivent les cours théoriques et interentreprises. Un gardien formé à cet effet les donne », précise Yves Girard. Le secrétaire général de l’ABPCV s’occupe des examens de fin d’apprentissage. Il se charge de la partie théorique et délègue deux experts pour la pratique.

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