Le couple d’entrepreneurs Regula et Burkard Kreyenbühl-Hirschi joue depuis des années un rôle de pionnier dans le secteur de la boulangerie-confiserie. Nuit des boulangers, production d’amidonnier, communication de la chaîne de valeur ; pour ne citer que quelques activités. Une raison suffisante pour consacrer l’article de couverture à l’entreprise des Kreyenbühl, genuss-handwerk.ch à Muri (AG).

« Nous avions deux objectifs : une famille et une entreprise à nous », confie Regula Kreyenbühl-Hirschi en évoquant les débuts de leur voyage commun dans l’artisanat du goût. La famille a toujours été au premier plan, «nous n’avons jamais dérogé à cette règle». Cela a été possible grâce à d’excellents collaborateurs et collaboratrices et un environnement favorable et serviable. Malgré les multiples contraintes, cette infirmière pédiatrique de formation s’est préparée à l’Ecole professionnelle Richemont pour entrer dans le commerce de détail. Selon Burkard Kreyenbühl, son épouse sait s’y prendre avec les gens, dispose de solides compétences sociales et de direction, ainsi que d’une expertise en vente.

« Nous y arriverons ! »

Burkard Kreyenbühl a suivi le parcours professionnel classique d’un boulanger-pâtissier. Il a fait son apprentissage à Wohlen (AG) au début des années 80, et passé l’examen professionnel à l’Ecole professionnelle Richemont après des années de pérégrinations dans le secteur. «C’est surtout au club de sport que j’ai acquis mes compétences en matière de gestion», explique Burkard Kreyenbühl. L’envie de créer sa propre entreprise s’est faite de plus en plus pressante à cette époque et la conviction « que nous y arriverions » s’est également renforcée au bout d’un an.

Regula et Burkhard Kreyenbühl

Les Kreyenbühl se sont mis à la recherche d’une entreprise appropriée en collaboration avec Proback. Ils ont visité des boulangeries en Valais et en Suisse orientale, entre autres, avant de finalement opter pour la location d’une entreprise à Littau (LU) en 2000. Leur premier enfant était déjà né à ce moment-là. « Bien acceptés dans le village, nous nous y sentions bien », se souvient Regula Kreyenbühl.

Reprise rapide

Deux ans plus tard seulement, ils ont appris que les propriétaires de la boulangerie Stöckli à Muri (AG) étaient à la recherche d’un successeur pour la vente de l’entreprise. Ayant grandi dans la région, Burkard Kreyenbühl connaissait bien l’entreprise pour y avoir travaillé. Tout s’est alors passé très vite. Le contrat de vente a été signé avant la résiliation de la location. Dans le pire des cas, le couple aurait dû exploiter deux boulangeries, mais la chance était de son côté et une bonne solution a pu être trouvée pour Littau. Regula et Burkard Kreyenbühl ont dès lors pu se consacrer à 100 % à leur propre entreprise. Et leur deuxième enfant est venu au monde juste au moment de l’ouverture.

Le financement représentait un défi. Ayant investi à Littau deux ans auparavant seulement, les Kreyenbühl ont dû composer avec pratiquement aucun capital propre. Burkard Kreyenbühl a fait le tour des banques pour finalement se voir accorder un soutien partiel. De plus, six parties de l’environnement privé se sont engagées dans l’entreprise.

La Boulangerie Kreyenbühl à Muri (AG)

Un démarrage réussi

La boulangerie Kreyenbühl a ouvert ses portes le 3 janvier 2002. «Nous avons repris une entreprise propre et bien entretenue. Mais le magasin était vieux», se souvient la professionnelle. Les débuts étant prometteurs, le point de vente a pu être rénové au bout de deux ans seulement. Les Kreyenbühl étaient comblés : un commerce prospère, trois enfants – l’aîné étant déjà à l’école et le quatrième en route –, ainsi qu’un excellent réseau, Burkard Kreyenbühl étant notamment président de l’association locale des arts et métiers et investi dans la formation professionnelle.

Un dur coup du sort

Mais l’euphorie n’a été que de courte durée. Le destin a durement frappé la famille en avril 2006: leur fils Basil, âgé de deux ans et demi, est décédé de manière inattendue. «Basil nous a ouvert les yeux: la famille est au premier plan», confie Regula Kreyenbühl.

« La famille est au premier plan. »

Regula Kreyenbühl

Les deux propriétaires ont dû veiller à la pérennité de l’entreprise malgré la dure épreuve traversée et la grande tristesse liée à la perte de leur enfant. Le fournil a été rénové en 2007, et d’autres mesures proactives ont suivi. En voici quelques exemples: lancement de Chocolatier Kreyenbühl en 2008 (tous les produits chocolatés étant depuis fabriqués en interne en qualité grand cru), lancement de Sirupier Kreyenbühl en 2009 (avec un grand choix de sirops produits par l’entreprise), et dépôt de la marque Genuss-Handwerk en 2010.

Une nouvelle étape a été franchie trois ans plus tard avec l’ouverture de la boulangerie-café à la Luzernerstrasse: sans cuisine, l’offre étant basée sur les produits de la boulangerie-confiserie, mais avec un buffet de salades à midi. Bien accueillie par la population l’offre est venue sceller le succès du nouveau projet.

Un chantier devant le magasin principal

Le problème suivant s’est posé en 2017, lorsque l’accès au magasin principal de la Zürcherstrasse est devenu très difficile, voire impossible pendant deux ans. L’assainissement de la route sur une longueur d’un kilomètre a entraîné des pertes de chiffre d’affaires pouvant atteindre 70 %. Il a fallu réduire le taux d’occupation des collaborateurs et collaboratrices, et supprimer certains postes de travail, deux ans s’étant avérés nécessaires pour retrouver à peu près la fréquentation de la clientèle d’autrefois.

L’assainissement de la route sur une longueur d’un kilomètre a entraîné des pertes de chiffre d’affaires pouvant atteindre 70 %.

L’accalmie a ensuite été de courte durée. En effet, les choses se sont à nouveau compliquées avec l’arrivée de la pandémie. Le café a dû être fermé en raison du coronavirus. Au lieu de se morfondre, les Kreyenbühl ont pris l’initiative de former avec le boucher, le fromager et le fournisseur de légumes une sorte de coopérative d’achat auprès de laquelle les habitants et habitantes de la région pouvaient passer commande. La marchandise était livrée le samedi par le personnel de la boulangerie. «Nous avons ainsi assuré l’emploi. Nous pouvions générer un chiffre d’affaires – mais pas de bénéfice», explique Burkard Kreyenbühl.

La crise du coronavirus à peine surmontée, les Kreyenbühl ont dû faire face à un nouveau coup dur: Burkard Kreyenbühl et sa fille aînée ont dû subir une importante intervention médicale en raison d’un risque de maladie génétique. Mais selon Regula Kreyenbühl, son époux se porte bien aujourd’hui, grâce à son attitude positive et à son excellente condition physique. Sa participation fructueuse au dernier marathon de ski de l’Engadine en est la preuve. «Nous avons été confrontés à un certain nombre d’épreuves au cours de notre vie, mais ce qui ne tue pas rend plus fort», confient-ils tous deux.

Personnel d’un grand soutien

Les collaborateurs et collaboratrices ont été d’un grand soutien en ces temps difficiles. «Nous avons des gens formidables», s’enthousiasme Regula Kreyenbühl, «c’est extrêmement précieux!» Avec leur énergie débordante et leur passion palpable pour le secteur, les deux entrepreneurs contribuent largement à l’esprit d’équipe.

Simon Brüllhardt, chef de production de la boulangerie, près du four installé en 2017.

Ils osent régulièrement s’engager dans de nouvelles voies. Genuss-Handwerk a ainsi été l’une des premières boulangeries – si ce n’est la première – à introduire la Nuit des boulangers en 2003. Fin septembre 2024, la nuit des portes ouvertes a de nouveau été organisée avec un grand succès. Burkard Kreyenbühl a également fait œuvre de pionnier avec l’amidonnier, une céréale primitive.

La production d’amidonnier

Il y a environ six ans, alors que les grands distributeurs et autres détaillants commençaient à faire de la publicité pour l’épeautre pur, Burkard Kreyenbühl s’est demandé comment il pourrait se démarquer avec son assortiment. Son attention s’est portée sur l’amidonnier, une céréale primitive. Mais les meuniers et les agriculteurs ont refusé de jouer le jeu, le risque économique étant trop important. «Je vais donc l’assumer moi-même», s’est dit le patron boulanger, qui a dès lors décidé de louer 80 ares de terrain, d’engager un paysan pour s’occuper des céréales, de confier le décorticage à un meunier, et de procéder à la mouture dans un petit moulin au fournil.

L’écho médiatique s’est avéré important suite au lancement du pain d’amidonnier, puisqu’il a dépassé les frontières nationales. Aujourd’hui, on trouve sur le marché des mélanges de farine contenant de l’épeautre et de l’amidonnier. Selon le professionnel, la transformation de l’amidonnier est plus délicate que celle de l’épeautre. Ce dernier offre une certaine légèreté, contrairement à l’amidonnier, plus compact. Il faut beaucoup de savoir-faire. Le pain complet aux pommes et à l’amidonnier ainsi que le pain complet à l’épeautre et à l’amidonnier sont notamment connus et appréciés bien au-delà de la commune.

Avec la farine Emmer moulue maison, Burkard Kreyenbühl était en avance sur son temps et a établi une marque tendance.

Aujourd’hui, la régionalité constitue une priorité essentielle dans le secteur. Les Kreyenbühl ont dès le début suivi le principe de la régionalité et donc de la chaîne de valeur régionale. Sur leur site web, la rubrique «Freiämter Schatzkiste» répertorie tous les fournisseurs de la région, qui sont également présentés sur les sets de table du café. Le thème des étapes de la culture des céréales à la panification a par ailleurs été abordé dans les classes d’école.

Burkard Kreyenbühl a également fait un travail préparatoire précieux dans le domaine de la promotion de la relève régionale. Grâce à ses mesures, le couple Kreyenbühl a souvent eu une longueur d’avance sur la tendance, il joue un rôle de pionnier dans le secteur. Il parvient toujours à enthousiasmer son personnel pour de nouvelles idées ou de nouveaux produits et à le faire participer à ses projets, selon un podcast de discussion dont Burkard Kreyenbühl était l’invité. «Bonjour tout le monde, je suis Burki Kreyenbühl, boulanger-pâtissier et artisan du goût par passion. Avec mon épouse, je dirige une boulangerie-pâtisserie-café à Muri. J’ai bien envie de vous expliquer comment on peut faire du pain de manière créative et comment on peut être créatif avec notre personnel. Ecoutez voir, et laissez-moi vous emmener dans mon monde», déclare-t-il en guise d’introduction.

Les croissants aux noisettes sont connus au-delà de la région.

Il y aurait encore beaucoup à écrire, sur les nombreuses distinctions reçues par Genuss-Handwerk, Burkard Kreyenbühl ayant notamment reçu le prix de l’entrepreneur argovien en 2021, ou sur ce que le couple entend par direction: «Donner l’exemple, c’est l’essentiel. Tout le reste n’est que dressage .» Ou encore sur «Wohlfühl-Kreyenbühl» – le bien-être dans la boulangerie –, sur les «brot-freunde muri», sur le projet Genuss & Leidenschaft , sur la communication active et créative, sur le troisième point de vente qui a été repris début 2024…

Perspectives d’avenir

On ne peut conclure cet article sans évoquer les perspectives d’avenir. L’agrandissement du fournil est dans les starting-blocks, avec un projet de production visible de l’extérieur: «L’objectif est d’offrir une belle vue sur la fabrication de nos produits depuis la rue», explique Burkard Kreyenbühl. Il est également prévu d’aménager des locaux conviviaux pour le personnel, des salles de réunion et des postes de travail plus attrayants, car l’espace disponible dans la production est actuellement assez restreint.

Le couple d’entrepreneurs veut faire avancer son entreprise avec beaucoup de passion et d’engagement, même si le prochain défi se profile déjà à l’horizon: abandonné pour des raisons de coûts lors des travaux routiers de 2017, un projet de passage souterrain CFF assorti d’autres mesures est aujourd’hui à nouveau d’actualité. Le début des travaux est prévu pour fin 2025, pour une durée d’un an et demi. «Le sens de circulation du centre du village vers notre magasin principal sera fermé durant cette période. Seul un accès par une déviation autour du village sera possible», explique Burkard Kreyenbühl.

«Nous allons à nouveau être mis à l’épreuve, économiquement parlant! En fait, nous voulons nous développer de manière positive, gagner de l’argent pour pouvoir créer des emplois attrayants…», conclut Burkard Kreyenbühl.

genuss-handwerk.ch


Quelques petites questions

Votre produit préféré?
BK: croissant aux noisettes maison et praliné
RK: tartelette crumble aux abricots

Activité préférée en général?
BK: faire du sport, du vélo et du ski de fond
RK: être le plus possible dehors, dans la nature

Activité professionnelle préférée?
BK: c’est difficile à dire, je suis un généraliste: marketing, direction et «nouvelle préparation de pâte» au fournil.
RK: il en va de même pour moi, j’aime la diversité.

Ce que j’aime dans mon activité…
BK: … la liberté que l’on a en tant qu’entrepreneur; je suis fier de pouvoir être entrepreneur, l’activité est variée.
RK: il n’y a rien à ajouter, c’est également mon avis.

Ce que je ferais différemment…
RK: avoir un jour de congé par semaine dès le début, mais on ne refait pas le passé, et c’est bien comme ça.
BK: en habitant au-dessus de la boulangerie, on est dans l’entreprise sept jours sur sept; il faut donc beaucoup de discipline pour pouvoir prendre un jour de congé.

Ce que nous avons particulièrement bien fait…
BK: nous fonctionnons bien ensemble depuis des années, et prenons aussi le temps nécessaire; par exemple, nous partons chaque année trois à quatre jours en retraite pour planifier nos activités.

Café ou thé?
RK: café le matin, puis thé
BK: café

Eau minérale gazeuse ou non gazeuse?
RK: gazeuse
BK: non gazeuse

Beurre ou margarine?
Les deux: beurre

Sel ou sucre?
RK: sel
BK: sucre

Montagne ou mer?
RK: montagne en principe, mais mer aussi de temps en temps
BK: montagne

Rock/pop ou classique?
Les deux: pop

Vin ou bière?
Les deux: vin

Policier ou romantique ?
RK: policier
BK: ni l’un ni l’autre, sujets économiques

Claudia Vernocchi

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