Les conséquences de la fermeture et de la réouverture des frontières pour les boulangeries-confiseries romandes en zone limitrophe sont multiples. L’impact diffère en fonction des régions et du type d’entreprise. Tour d’horizon…

Six mois après le début de la pandémie, le spectre d’une deuxième vague plane sur le pays. « panissimo » a souhaité mesurer les effets de la fermeture et de la réouverture des frontières sur les boulangeries-confiseries artisanales. Un questionnaire a été adressé à des entreprises romandes, aux présidents cantonaux et à leurs secrétaires. Ci-dessous un résumé des réponses collectées.

Genève :« Ce fut un choc ! »
Une réelle baisse de la clientèle a été perçue à Genève, les deux premières semaines suivant la fermeture des frontières. « Les clients préféraient rester chez eux. La vente au magasin a ensuite très fortement augmenté ; et principalement la fabrication de pain », synthétise le président des artisans boulangers-confiseurs du canton Eric Emery.

La situation qu’a vécue Walter Ruckstuhl au sein de sa maison est similaire : « Ce fut un choc ! (…) Puis, les gens ont redécouvert leur boulangerie de quartier.

« Dans un de nos magasins nous avons même augmenté d’un tiers la vente de pain. »

La pâtisserie et le chocolat n’étaient pas en reste. La clientèle n’avait plus que cela pour se faire plaisir : un baba au rhum par-ci, un millefeuille par-là… » Le Genevois confie également n’avoir jamais vendu autant de levure qu’en cette période. « Les gens avaient le temps de faire leur pain à la maison. Ils expliquaient leurs méthodes de fabrication et leur petit tracas à nos vendeuses qui ont su faire preuve de psychologie. »

Du côté des entreprises travaillant avec les hôtels, les restaurants et les marchés, tout s’est arrêté du jour au lendemain. « Une catastrophe ! », précise Eric Emery. Même son de cloche pour les artisans livrant les bureaux et les organisations internationales. Le télétravail a eu, et a toujours, un impact sur les commandes.

A l’ouverture des frontières, il n’aura fallu que dix jours pour que les habitudes d’achats transfrontaliers reviennent, s’accordent MM. Emery et Ruckstuhl. S’ajoute un manque à gagner d’environ 40 % dans les tea-rooms en raison de la distanciation sociale. « Le plus difficile est donc de maintenir son chiffre d’affaires avec la moitié des tables », précise le président. La plupart des entreprises ont eu recours aux RHT. Certaines n’ont pas eu d’autres choix que de se séparer de collaborateurs.

Cela a notamment été le cas chez Ruckstuhl qui a perdu en six mois ce qu’elle avait gagné en 2019.

« En 81 ans, notre boulangerie en a vu des choses, mais là, je crois que c’est la période la plus difficile qu’elle ait vécue. Je ne crois pas à un retour à la normale avant la fin de l’année prochaine. »

Vaud : « Une fin d’année délicate »
Au Sentier dans le canton de Vaud, Claude-Alain Collaud note que « l’absence de tourisme d’achat a compensé la perte liée aux fermetures des usines ». A l’image de la situation dans le canton du bout du lac, aussitôt les frontières rouvertes, les gens ont repris leurs coutumes d’avant-Covid. « Cela a fait chuter nos ventes de produits laitiers et de viandes », explique le boulanger-épicier. Quant à ses livraisons dans les usines, elles sont toujours au ralenti. L’artisan s’est aussi séparé d’un collaborateur. « La fin d’année s’annonce délicate, mais nous ferons avec. Nous sommes des battants, nous trouverons des solutions. »

« l’absence de tourisme d’achat a compensé la perte liée aux fermetures des usines ».

De manière plus générale, la situation a retrouvé son cours habituel en campagne après le confinement, selon le secrétaire général des boulangers-confiseurs vaudois, Yves Girard. Au sein des villes, les membres continueraient à souffrir en raison des annulations de manifestations et du télétravail. Un artisan lausannois a vu huit livraisons d’événement annulées à la suite de l’annonce des nouvelles mesures décidées par le Conseil d’Etat, par exemple.

Neuchâtel :pas de plaintes particulières
Le président de l’association neuchâteloise Nicolas Perriard n’a reçu aucunes doléances à ce sujet de la part de ses membres. Toutefois, les confiseries concernées par la fermeture des frontières auraient gardé leurs portes closes durant cette période.

Jura : vers des changements de consommation
Roger Veya de la confiserie Werth à Delémont (JU) a vu son chiffre d’affaires diminuer de 40 %. Cette situation n’a guère évolué à la réouverture des frontières. Pour le Jurassien, l’annulation de l’événementiel risque fortement de se poursuivre l’année prochaine ; soit un manque à gagner de 40 %. D’importants changements de consommation sont à envisager en 2022, selon lui.

Fermeture et réouverture des frontières en Suisse allemande

Sutter Begg dans la région de Bâle, Müller Beck à Schaffhouse, Stadtbäckerei Bürgin à Kreuzlingen (TG) et Bäckerei Künzler à St. Margrethen (SG) font partie des boulangeries-confiseries qui ont ressenti les effets de la fermeture et de la réouverture des frontières nationales et de leurs propres cafés à cause de la Covid-19. Tout le monde ne l’a pas vécu de la même manière. Cependant, la majorité des responsables des quatre entreprises interrogées envisagent l’avenir avec confiance.

Pendant et après le confinement
Les frontaliers de la région bâloise sont des clients importants de la Sutter Begg, selon sa PDG Katharina Barmettler-Sutter. « C’est pourquoi nous avons clairement ressenti la fermeture de la frontière. » Avec sa réouverture, les ventes se sont quelque peu redressées. Elles restent cependant inférieures au niveau de l’année précédente. « Nous constatons surtout dans nos succursales du centre-ville que beaucoup de gens travaillent encore à domicile. »

« La frontière était très hermétique… Une situation fantomatique », c’est ainsi que Manuela Roost Müller de Müller Beck décrit le confinement. « Dans notre cas, le chiffre d’affaires a été satisfaisant, compte tenu des heures d’ouverture réduites », explique la femme d’affaires. « Beaucoup de boissons à emporter ont été commandées parce que les cafés étaient fermés. Malheureusement, ce n’était plus le cas après le confinement ». Lors de la réouverture des frontières, les ventes de l’artisan schaffhousois ont chuté à environ 60 % de la période précoronavirus.

Les ventes de la boulangerie Stadtbäckerei Bürgin à Kreuzlingen ont chuté d’un tiers pendant la fermeture, selon son propriétaire Daniel Bürgin ; principalement en raison de l’annulation de livraisons aux écoles, aux restaurants et aux événements. « Nous avions un peu plus de clients différents lorsque la frontière était fermée », explique-t-il. « Avec la réouverture de la frontière et des écoles, nous avons récupéré les élèves, mais une certaine clientèle n’est plus là. »

« En raison du confinement et de la fermeture de la frontière, nous avons perdu du jour au lendemain 50 % de notre chiffre d’affaires avec nos clients du land Vorarlberg (D) voisin », déclare Werner Künzler de la Bäckerei Künzler GmbH à St. Margrethen. Comme les frontaliers ont été autorisés à continuer d’entrer dans le pays et que les Suisses ne pouvaient plus se rendre dans le Vorarlberg pour y faire leurs achats, la perte a été relativisée. Depuis la réouverture des frontières, la situation est rapidement revenue à la normale, selon M. Künzler : « Tous nos clients réguliers étaient heureux de revenir dans nos magasins. »

Attentes pour l’avenir
La période qui suivra le coronavirus est jugée tout à fait différemment : « Ce ne sera plus jamais pareil », dit Manuela Roost Müller, « les clients et les hôtes sont devenus plus prudents et réservés ».

Daniel Bürgin, en revanche, explique : « Nous ne sommes pas pessimistes et pensons que la crise n’a pas de conséquences à long terme. »

Werner Künzler s’attend également à ce que le secteur ne change pas beaucoup : « Les gens veulent acheter chaque jour du pain frais et savoureux au boulanger. Le bon goût du magasin spécialisé attire de nombreux clients. »

Katharina Barmettler-Sutter observe « un besoin croissant de faire des achats localement, rapidement et facilement, ainsi que dans des magasins plutôt petits. »

La concurrence indigène à bas prix : le principal problème dans le canton du Tessin

La réouverture des frontières lors de la pandémie a eu un effet différent sur les boulangers-pâtissiers-confiseurs tessinois que sur leurs homologues du reste du pays.

Croissants à prix léger, lourds de conséquences
L’enquête de « panissimo » dans le canton du Tessin montre une image différente de celle des villes frontalières du reste de la Suisse. Il est vrai qu’ici aussi, des membres ressentent de fâcheuses conséquences à la suite de la réouverture des frontières. Toutefois, pour la plupart, ce n’est pas le pays voisin, l’Italie, qui leur pose le plus de problèmes. Non, ce sont les campagnes régulières des grossistes et des discounters, « quand ils vendent des Michette (ndlr : petits pains spéciaux à base de farine blanche) ou des croissants à 29 centimes la pièce », souligne Giuseppe Piffaretti, membre de l’association tessinoise des boulangers-pâtissiers-confiseurs. Il émet également l’hypothèse que « si l’attention envers la Covid au Tessin s’estompe, la fréquence de la clientèle reviendra au niveau de l’année précédente ».

Profiter des touristes nationaux
Certains membres ont enregistré plus de clients dans le canton en juillet qu’à la même période en 2019, en raison du grand nombre de touristes suisses.

Cela pourrait aussi vous intéresser

« J’aurais certainement pu faire un bon boulanger »