Le coronavirus impacte la Suisse depuis la fin février. La Confédération a pris des mesures drastiques pour endiguer l’épidémie. A l’inverse de la majorité des commerces, les boulangeries-confiseries ont poursuivi leurs activités. Certaines d’entre elles ont particulièrement su tirer leur épingle du jeu. Exemple chez Eric Emery à Genève…

« Nous allons réaliser de très, très, bons mois d’avril et de mai. J’en suis sûr et certain », affirme Eric Emery. L’artisan a compensé une grande partie des pertes liées à la fermeture de son tea-room par une augmentation des ventes au magasin. Un succès qui passe indéniablement par une souplesse et un état d’esprit positif, selon le patron de la boulangerie-confiserie genevoise.

A la veille de la crise, son unique point de vente et salon de thé emploie 15 personnes dont sept au laboratoire, lui y compris. Les deux tiers du chiffre d’affaires proviennent des ventes au comptoir, le solde du service à table.

« Plus restrictif »

Le 13 avril, les premières mesures barrières de la Confédération tombent… M. Emery condamne une table sur deux en y posant un écriteau « Réservé » afin de respecter une distance de deux mètres entre les hôtes. Une mesure presque inutile : dès l’annonce du Conseil fédéral, la fréquentation a chuté. « Nous avons perdu environ 70 % des clients. » De nature optimiste, comme il se définit, l’artisan n’avait envisagé à aucun moment la fermeture de son café. La surprise est donc de taille lorsque le couperet s’abat le lundi 16. Le boulanger est même contraint de barrer physiquement l’accès aux places assises : « Certaines personnes ne comprenaient pas les mesures. ‹ Mais ça ne risque rien ! Regardez : toutes les places sont vides ›, me dit un client. »

Côté magasin, les choses sont autres : un panneau rappelle son ouverture et les règles en vigueur. Au maximum, trois consommateurs sont autorisés à se trouver simultanément à l’intérieur. « Avec une surface de 100 m2, nous sommes bien en dessous des directives fédérales. (…) J’essaie toujours d’être plus restrictif afin d’être certain de ne pas avoir d’ennui. » Deux des quatre caisses sont ouvertes. Le client suivant est invité à entrer lorsqu’une place se libère. Il reste à la caisse, pendant que la vendeuse prépare sa commande. Aucun plexiglas n’est installé entre les deux intervenants. Deux raisons à cela, selon M. vente est surélevé et domine le client. D’autre part, la banque est large de 1,3 mètre, soit autant de distance minimale entre les individus. « J’ai demandé à mes collaboratrices les protections qu’elles désiraient. Aucune ne voulait de masque. Après nous être renseignés, nous avons décidé d’agir de la sorte. » A l’extérieur, point de marquage, mais une employée se charge du « service d’ordre ».

Primeurs à prix coûtant

Le tea-room et sa cuisine fermés, Eric Emery se retrouve avec une certaine quantité de marchandises sur les bras. Une collaboratrice lui suggère alors de la vendre, plutôt que de la laisser pourrir. « Nous l’avons exposée à l’entrée du magasin au prix quasiment coûtant. Tout est parti dans la journée. C’était incroyable ! » Une nouveauté que lui autorise son bail qui stipule : boulangerie-pâtisserie et petite épicerie.
Face à cet engouement, le patron met en place un nouveau service. Il offre à sa clientèle la possibilité de commander cinq légumes et trois fruits couramment utilisés. « Je ne gagne rien sur ces produits. En revanche, les personnes me prennent aussi d’autres articles : du pain en grande quantité, des jus de fruit, du vin… Les tickets s’élèvent généralement à plus de cent francs ! »
Les commandes sont livrées gratuitement à domicile dans un rayon d’environ 3 kilomètres, en collaboration avec la paroisse du Petit-Saconnex.
Malgré les recommandations, les personnes âgées ne sont pas celles qui profitent le plus du service. « Pour la plupart, il s’agit de familles qui se sont totalement confinées. Quant aux personnes âgées, ce sont elles que nous voyons étonnamment tous les jours au magasin », précise l’artisan.

Des ventes quintuplées

Confitures, flûtes, tuiles et autres spécialités emballées… Le nombre de commandes hors magasin s’envole. Ces ventes de produits sont destinées notamment aux marchés à la ferme. Elles représentent environ 8,5 % du chiffre d’affaires du magasin contre 3,5 auparavant. « Les achats à la ferme ont explosé. Comme je travaille depuis longtemps avec eux, cette forte augmentation s’est répercutée sur mes produits. Nos ventes de pâte à tartiner ont été quintuplées, par exemple. » Le pain fait également partie du lot. Les miches sont congelées afin de permettre une meilleure gestion des stocks. Le montant moyen par commande à lui aussi était multiplié par cinq, selon les dires de l’artisan : « De 200 francs à 1000. »

Répartition des forces

Du côté des effectifs, l’entreprise est passée de 15 à 12. Avant la crise, Eric Emery a décidé de se séparer de deux employés. Depuis, une collaboratrice enceinte et une personne à risque restent à domicile. Aucun départ n’a été remplacé à ce jour. « Toutes les demandes de permis sont bloquées pour le moment. »
Face à un volume de viennoiserie identique et à une production de pain triplée, l’artisan remanie ses troupes. Ses vendeuses font preuve d’adaptation et de souplesse en travaillant pour le laboratoire. La cuisine du tea-room leur est réservée. Elles s’occupent notamment des ramequins au fromage ou des tartelettes aux fraises. « Nous avons réparti les forces de travail différemment afin que tout le monde puisse garder son travail et son salaire. »
Eric Emery souligne d’ailleurs l’« état d’esprit vraiment positif » de ses vendeuses en particulier. Souriantes, de bonne humeur, elles n’ont pas changé d’attitude envers la clientèle ; tout en restant très strictes sur le respect des mesures barrières. Le client ne vient pas chez nous pour qu’on lui fasse la tronche. C’est encore plus vrai aujourd’hui qu’avant ! » Une attitude qui contribue tout autant que les services supplémentaires à cette traversée réussie.

Remercier la clientèle

Le boulanger-confiseur réfléchit, notamment au sein de l’association genevoise de la branche dont il est le président, à la manière de remercier sa clientèle. « Nous recherchons un moyen de féliciter à notre tour et sans racolage les consommateurs pour leur bonne attitude, leur fidélité et leur encouragement durant le coronavirus. »
M. Emery songe aussi à l’évolution de son commerce au sortir de ce Grand confinement. « En fermant à 16 heures, au lieu de 18 h 30, et sans le stress du tea-room, nous avons gagné en qualité de vie. » Si la fermeture du salon de thé n’est pas à l’ordre du jour, l’artisan n’est pas contre un raccourcissement des horaires. Il envisage d’étudier des collaborations avec les commerces voisins. « Je n’ai vraiment pas envie de revenir en arrière. Je travaille plus qu’avant, mais dans un état d’esprit totalement différent !»

Panettones, chocolats… vins

Depuis le début de la crise et les mesures barrières qui en découlent, les tourtes et autres entremets n’ont plus la côte, relève Eric Emery. En revanche, le boulanger-confiseur genevois constate une hausse notable des ventes de panettones et de chocolats. « Cela concerne tout ce qui apporte du baume au cœur. Et puis, c’est peut-être un revers de médaille, je vends beaucoup plus de vins qu’avant la crise. C’est flagrant ! »

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