« panissimo » s’est entretenu avec le « chef d’orchestre » de la construction du nouveau Centre romand de compétences pour les artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs à Yverdon. Blaise Fontana revient notamment sur le déroulement des travaux.

Après un apprentissage de ferblantier, installateur sanitaire et une maturité technique, Blaise Fontana achève une formation de designer HES à l’école supérieure d’arts appliqués de Genève et à La Chaux-de-Fonds.
Le Prévôtois a aussi suivi des stages en architecture d’intérieur à Paris, notamment chez Philippe Stark. De retour en Suisse, il travaille dans plusieurs bureaux d’architecture sur la Riviera. Il occupe les postes de designer intérieur, chef de projet pour les concepts et avant-projets ainsi que directeur des travaux. Entre autres réalisations, il s’occupera de l’intérieur d’un yacht-catamaran de 110 pieds, d’objets le domaine de l’hôtellerie et de la restauration, ainsi que de projets sur-mesure pour des clients privés.
Il quitte ensuite les bords du lac Léman pour s’installer en Gruyère avec son épouse enceinte de leur second enfant. Œuvrant pour des bureaux importants, il monte en parallèle sa propre entreprise. En juin 2019, le quadragénaire lance Parallel Design Sàrl. Depuis, il a ajouté de nouvelles réalisations à son CV, dont le Centre romand de compétences pour les artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs, inauguré le 7 septembre à Yverdon.

Blaise Fontana, comment avez-vous rejoint le projet du centre romand de compétences ?
Je connaissais Mathieu Fehlmann. A la suite de l’achat du bâtiment d’Yverdon avec un permis de construire pour une surélévation, l’ancien secrétaire général de l’Association romande des artisans boulangers-confiseurs (Arabpc) m’a demandé d’y jeter un coup d’œil. Habitué aux descriptifs de vente et d’achat, j’ai accepté. Ils m’ont proposé de devenir leur délégué pour cette réalisation. Apprenant qu’il prévoyait de réaliser un pôle de boulangerie-pâtisserie-confiserie, j’ai proposé mes services. Je leur ai fait deux offres bien distinctes.

Qu’est-ce qui vous a séduit ?
A l’époque, j’avais déjà côtoyé le domaine de la gastronomie. J’ai notamment travaillé sur le concept de la transformation du restaurant étoilé de l’Hôtel de Ville de Crissier, d’un restaurant d’hôtel, d’une brasserie et sur la réalisation d’un restaurant d’une grande chaîne de fast-food. Lier l’esthétique dans un domaine aussi technique représente toujours un beau challenge. On ne rencontre pas tous les jours ce genre d’objet.

Quel était votre cahier des charges ?
Le maître d’œuvre, l’Arapbc, et sa locataire, Richemont, savaient exactement ce qu’ils voulaient : un outil très pointu. Cependant, ils n’avaient pas vraiment imaginé comment l’articuler dans cet espace. Ils disposaient d’un plan d’une surface dans laquelle ils souhaitaient disposer des machines, des tables, des assises, un podium… Je gérais toute la technique pour trouver des solutions et harmoniser le tout. L’association et l’école avaient besoin d’un chef d’orchestre pour envisager ce qui était faisable et à quel coût.

Aviez-vous visité l’école de Pully ?
Non, j’ai été invité à Lucerne. J’ai bien vite cerné leurs envies et la technique à intégrer. La volumétrie n’était cependant pas la même. Lucerne dispose d’un bâtiment neuf, beaucoup plus grand avec sous-sol. De plus, il fallait pouvoir faire du chocolat durant toute l’année. Malheureusement, le bâtiment constructivement parlant ne le permettait pas : à la base, c’était une imprimerie, transformée en école pour enfants en difficulté. Il fallait trouver des solutions.

Qu’avez-vous entrepris ?
L’enveloppe n’a pas été touchée. Nous avons installé un système double-flux. Comme nous climatisions les locaux, nous avons dû installer des panneaux photovoltaïques en guise de compensation. (…) La climatisation a également nécessité d’obstruer les fenêtres par l’extérieur afin de limiter le réchauffement de la salle. Ce système nécessite beaucoup de technique, des matériaux résistants aux intempéries, une alimentation électrique externe et une étanchéité. Nous avons dû gérer le flux d’air frais et l’extraction en tenant compte d’un espace dédié à la production et un autre à une salle de cours ou les élèves sont assis. Gérer un confort avec des exigences de température dans un bâtiment existant a un coût plus élevé qu’une installation dans une nouvelle construction pensée pour cette affectation.
Cette halle industrielle présentait aussi un inconvénient acoustique. Il y avait beaucoup d’échos. Rien de pire, lorsqu’on travaille dans un environnement métallique. Nous avons enfermé les monoblocs dans une « boîte » acoustique au-dessus des chambres froides. Nous avons placé deux éléments acoustiques au plafond de 8 x 16 mètres recouverts de visuels rappelant la production en boulangerie-pâtisserie-confiserie.
Ces éléments m’ont servi à apporter de manière créative, une touche esthétique et design dans un espace chargé d’éléments techniques ; sans pour autant perturber et charger visuellement l’espace qui reste un lieu d’enseignement et de travail pour la formation.

La majeure partie des transformations a donc porté sur le laboratoire ?
Le laboratoire et la salle de vente. J’ai travaillé avec les enseignantes de la vente pour cette salle de classe. Elles avaient besoin d’éléments de présentations murales, mobiles et modulables, de rangement et d’un système de projection des cours sur écran… Ces échanges sont primordiaux pour répondre parfaitement à leurs demandes. Nous avons travaillé l’espace en trois teintes : noir, blanc et bois clair Le résultat est calme et harmonieux.
Les sols, les murs et les faux plafonds des vestiaires ont aussi été refaits. Des douches ont été installées. A l’entrée du bâtiment, nous avons travaillé sur la technique afin de créer par la suite une réception et amener tout ce qui est lié à l’informatique. Quant à l’étage, il y a eu quelques mises en conformité.

Les travaux sont-ils terminés ?
Oui, il reste toutefois à poser un visuel sur le mur acoustique derrière le podium et un à l’entrée du local de vente. Le premier devrait se composer de l’identité de Richemont et le second reproduire l’entrée d’une boulangerie-confiserie. Le centre de formation et les vendeuses s’en occupent.

Le coronavirus a-t-il impacté le chantier ?
Oui, nous avons dû faire face à cette situation extraordinaire au début du chantier. Les maçons se sont arrêtés. Ils creusaient le radier, d’une part, pour amener canalisations et tubes électriques et, d’autre part, pour que les chambres froides soient à plein pied. Après environ un mois d’interruptions, les travaux ont repris. Il a fallu travailler d’arrache-pied pour permettre une fin des travaux qui correspond au début des cours de l’école. Avec un planning si court, j’ai dû compter sur le soutien et les compétences des entreprises sur site. Je les remercie d’ailleurs beaucoup d’avoir mis l’énergie et l’effectif nécessaire. C’était un vrai travail d’équipe.

Quel a été le budget et a-t-il été respecté ?
Je ne connais pas le montant de l’investissement de l’ensemble du bâtiment (ndlr : lors de l’inauguration, Jean-François Leuenberger a mentionné un investissement de « 9 millions de francs sur place »), mais uniquement le budget des travaux qui m’a été confié et que je ne divulguerai pas. Nous avons eu quelques surprises. Par exemple, nous avons dû demander des ampères supplémentaires en raison de la forte demande électrique. Mais oui, le budget des travaux a bien été respecté.

Vous êtes vous renseigné sur le monde de la boulangerie-pâtisserie-confiserie ou avez-vous « simplement » suivi les desiderata du maître d’œuvre ?
Non, ça ne peut pas fonctionner ainsi. Lors de la transformation du restaurant de Benoît Violier, il me disait : « Vous ne pouvez pas imaginer mon restaurant sans comprendre ma cuisine et la vivre. Il m’invitait alors à sa table dans sa cuisine pour dîner et m’absorber de ce monde de la gastronomie. » Avant toute chose, il faut être curieux, il faut comprendre comment les personnes travaillent, surtout en architecture d’intérieur. Je n’ai pas été jusqu’à passer un CFC de boulanger-pâtissier-confiseur. Il faut toutefois poser toutes les questions sur le fonctionnement des machines et la chaîne de production, intégrer leur manière de travailler. Sans cela, il y aurait des ratés et votre carrière en pâtirait.

Votre manière de travailler ferait de vous un « très bon boulanger », selon les mots de Jean-François Leuenberger, lors de l’inauguration du centre. C’est vrai ?
(Rires) Il a dit ça parce que j’envoyais parfois des courriels au milieu de la nuit. Vu les délais que nous avions, c’est vrai que chaque heure comptait et une partie de la nuit y participait. Comme le métier de boulanger, mon travail est presque une vocation, une réelle passion. Si vous avez de la passion pour ce que vous faites, vous pouvez entreprendre n’importe quoi. Avec un bon apprentissage, des connaissances, de la passion et l’envie de bien faire, alors oui, j’aurais certainement pu faire un bon boulanger.

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