Dans le Jura bernois, Jean-François Leuenberger célèbre les 150 ans de sa boulangerie-pâtisserie-confiserie. Quatre générations se sont succédé de père en fils à sa tête. Rétrospective et avenir de l’entreprise familiale en compagnie de l’artisan et vice-président de la BCS…

L’aventure de la boulangerie-pâtisserie Leuenberger débute dans le Jura bernois au XIXe. Venu d’Emmental, Jakob s’installe à Courtelary (BE) pour y trouver du travail. Il œuvre quelques années dans l’une des six boulangeries du village, qu’il reprend en 1870. « L’entreprise comprenait une ferme, un restaurant, un hôtel et un cabanon à l’intérieur duquel il fabriquait du pain », explique son arrière-petit-fils Jean-François Leuenberger, actuel patron.

L’entreprise comprenait une ferme, un restaurant, un hôtel et un cabanon à l’intérieur duquel il fabriquait du pain.

A la suite d’un incendie, Jakob investit dans un autre commerce du village, qu’il laissera à son fils Edouard. En 1915, un second sinistre contraint sa progéniture à trouver un nouvel emplacement : les locaux actuels à la Fleurs de Lys 2. « Lorsque Edouard meurt en 1940, mon papa était en apprentissage de boulanger à Bienne. Agé de 17 ans, il est rentré prématurément à la maison. »

Au fil des ans, Jean-Pierre Leuenberger diversifie les activités. « Dans les années soixante, il a été un précurseur dans le domaine des glaces », souligne son fils avant de préciser. « A la suite d’un cours chez Richemont, il a acheté la machine, les bacs et la saumure pour les refroidir. Il fabriquait des bâtonnets qu’il livrait jusqu’en Ajoie. C’était artistique ! » Il transforme aussi les lieux pour accueillir l’alimentation, en 1965. Cette même année, l’entreprise devient Chez Jean-Pierre. Cinq ans plus tard, il augmente la surface dédiée à l’épicerie et rénove le laboratoire. Entre-temps, le boulanger a repris trois points de vente : à Cortébert (BE) en 1950, à Villeret (BE) en 1960 et à St-Imier (BE) en 1970.

Cinq magasins,trente-cinq employés

La quatrième génération entre en scène avec Jean-François Leuenberger, le 1er janvier 1989. « Nous avons agrandi à plusieurs reprises, car cela devenait exigu. » La surface du laboratoire est aujourd’hui de 320 m2, l’alimentation de 300 m2. Du côté des succursales, Corgémont (BE) complète les magasins historiques, depuis cette année.
Chez Jean-Pierre emploie dix collaborateurs en production et 25 répartis entre la vente, les livraisons, l’entretien et l’administration. Trois apprentis font partie de l’effectif. L’entreprise ne mise pas sur un produit phare, mais sur un ensemble de recettes traditionnelles.

« On me surnomme Tout-au-beurre. Chaque jour, le laitier nous livre une à deux boilles de lait, par exemple. C’est ce type de philosophie que nous suivons. »

Boom du snacking

Sandwichs, canapés, croissants au jambon, pâtés… Depuis une dizaine d’années, le snacking est le domaine qui a le plus évolué. « Les gens sont nombreux à manger quelque chose sur le pouce entre midi et deux. De même, beaucoup ne déjeunent pas à la maison, mais s’arrêtent chez nous pour prendre un dix heures. »

Il est essentiel que le pain retrouve ses lettres de noblesse, notamment dans la gastronomie.

A l’inverse, l’approvisionnement des institutions, des hôpitaux, des restaurants est en forte baisse. « Les commandes concernent pratiquement uniquement les articles qui ne se trouvent pas en précuit : les kilos de pains, par exemple. Autrefois, c’étaient de vraies et belles livraisons. » Il est essentiel que le pain retrouve ses lettres de noblesse, notamment dans la gastronomie, selon l’artisan qui porte également la casquette de vice-président de la BCS.

De trente-cinq à deux boulangers

Dans la région, nombreux sont les collègues qui ont mis la clé sous la porte. Sur les 35 boulangeries que comptait le vallon de St-Imier en 1900, ils ne sont plus que deux à  ce jour. En revanche, le nombre de grandes surfaces et autres commerces de pains augmente. 

De plus, la frontière et les centres commerciaux français situés à 35 minutes constituent une concurrence supplémentaire. « Pour beaucoup, c’est une routine. Ils partent à quatre dans une voiture le vendredi, ils vont faire leurs courses, mangent un morceau et rentrent avec chacun leurs gros cabas. » Le magasin et ses 3000 articles jouent les dépanneurs. Unique commerce ouvert le dimanche, les clients y font leurs achats et paient sans discuter, fait-il remarquer ; ce qui n’est pas le cas la semaine.

Une exception toutefois : le comportement de la clientèle a été différent durant le confinement. D’ailleurs, c’est la première fois en 32 ans que Jean-François Leuenberger a été ravi de posséder son épicerie. « Jusqu’à présent, j’ai toujours dit que c’était un fardeau. (…) Cela demande beaucoup de travail pour peu de marges. Les charges ont doublé, mais pas le chiffre d’affaires ! »

Cette situation n’a pas duré. Au sortir du confinement, la grande majorité de la clientèle a retrouvé ses habitudes : « Nous avons à nouveau plus de monde qui paie en euros. Et, ce ne sont pas des frontaliers, mais des gens à qui il reste de la monnaie des dernières courses. »

Préparer demain

Quid de l’idée d’abandonner l’alimentation au profit d’un tea-room ? Réponse de l’intéressé : « C’est un secteur différent. Tout serait nouveau. Seul aux commandes, j’ai mes limites et cela serait compliqué. » Installer un îlot de produits frais en collaboration avec un boucher, un fromager, un maraîcher le séduit davantage. « Si nous étions dans une agglomération de 10 000 habitants, je l’aurais certainement fait. » Sans doute une piste de réflexion pour un repreneur.

A 57 ans, l’artisan n’a d’autres projets professionnels que d’organiser au mieux la remise de son commerce. Il souhaite trouver un successeur avec qui préparer l’avenir et la direction que prendra l’entreprise. « C’est une de mes préoccupations. Nous avons toujours repris de père en fils. C’est quand même plus simple : on peut poser des questions, on peut laisser du matériel. Le jour où je partirai, je sortirai avec plus de 150 ans d’histoire… »

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