Des cuisiniers en situation de handicap et des boulangers-confiseurs en herbe ont battu le record du plus grand éclair du monde, le 21 juin à Fribourg. Leur pâtisserie fourrée mesurait 862,9 mètres de long, soit environ 2,6 fois la hauteur de la tour Eiffel. Retour sur une aventure humaine inclusive hors norme, au-delà de l’exploit gastronomique.

Détenir un record du monde pour rappeler que le handicap n’efface en rien les compétences. Telle était l’idée des maîtres socioprofessionnels Catherine Andrey et Marc Grandjean des Ateliers de la Glâne à Romont (FR) en compagnie de quatre employés en situation de handicap. Ils ont rapidement été rejoints par neuf apprentis confiseurs de l’Ecole professionnelle artisanale et industrielle de Fribourg (EPAI), à la suite d’une discussion avec le maître de cours Christophe Petter. Ensemble, ils ont jeté leur dévolu sur l’éclair fourré à la crème pour des questions de praticité et de faisabilité. Avec l’accord des directions des deux établissements, le projet a été lancé: réaliser un éclair de 900 mètres de long. L’actuel record était alors de 676,6 m. Constaté par un huissier, l’exploit n’avait cependant pas été validé par le Guinness World Record (GWR).

Les équipes se sont réparti les rôles. Entre autres tâches, celles des ateliers concernaient l’administratif, la mise en place, les contacts avec le GWR et la recherche de sponsors. Matières premières, locaux, juge, géomètres… Le coût de l’exploit s’élevait à 80000 francs. Au fil de l’avancement, la somme des liquidités à trouver a diminué, grâce aux coups de pouce de fournisseurs, de producteurs, de partenaires tels que l’Etat et la Ville de Fribourg. «Parler uniquement de chiffres serait réducteur. Il y a tellement eu de moments, d’échanges, de rencontres extraordinaires qui nous ont apporté du bénévolat ou de la matière première. (…) Si bien qu’avec 20000 francs en caisse, le budget est couvert», avait souligné Marc Grandjean à quelques semaines de la tentative. Ce montant provenait de plusieurs actions, dont une vente de linges produits par leurs soins, ou une autre de réservation de mètres de douceur.

Sept cents kilos de matières premières

Les apprentis pâtissiers-confiseurs ont pris en charge la production. Elle comprenait la transformation des 700 kg de matières premières offertes: 130 d’œufs, 130 de farine, 100 de fondants, 92 de crème, 63 de glace pilée, 65 de beurre, 55 de fraises, 26 de sucre et 20 d’arômes.

La préparation a duré deux jours à l’EPAI: un premier pour la pâte, un second pour les crèmes. Les employés des ateliers et des dizaines de bénévoles les ont appuyés pour tamiser, découper, laver, mélanger… Ces précieuses «petites mains» ont relevé plusieurs imprévus, comme la cueillette des fraises à la dernière minute. Certes offertes, elles devaient cependant être ramassées; une précision malheureusement mal comprise.

Les professionnels en herbe ont utilisé une extrudeuse pour dresser la pâte à choux. Prêtée par un équipementier spécialisé, elle a garanti régularité et gain de temps. Les 510 kg de tronçons confectionnés ont nécessité une vingtaine d’heures de cuisson.

Les crèmes se sont déclinées en quatre arômes : vanille, moka, chocolat et vanille-fraise sans lactose. Un fondant était assorti aux trois premiers. «Nous avions opté pour une crème à froid afin de minimiser les risques pathogènes», a souligné Christophe Petter. L’Ecole professionnelle Richemont a soutenu la mise en place du concept d’hygiène. «Le service du chimiste cantonal n’a pas souhaité entrer en matière. Une personne de l’EPAI, certifiée par Richemont, a suivi le processus de confection sur les trois jours, afin d’en rendre compte à la juge du GWR.» Un laboratoire privé a analysé les crèmes avant leur utilisation et les éclairs lors de la distribution au public. «Le taux de micro-organisme était 10 fois inférieur au seuil de tolérance», a précisé M. Petter.

En parallèle, une équipe s’est activée à moins d’un kilomètre de l’EPAI, au cœur d’un centre commercial. Elle y a assemblé deux tours, points de départ et d’arrivée du tracé sur lequel devait reposer le dessert. Tarun Gattolliat, stagiaire aux Ateliers de la Glâne, a imaginé les structures en bois hautes d’environ 3,5 m et larges de 1,6 m.

Journée marathon

Le jour J, apprentis, maîtres et enseignant ont commencé leur marathon pâtissier peu avant 5 heures. T-shirt aux couleurs de l’exploit enfilé, tous se sont activés dans le centre commercial. Certains garnissaient la pâte à choux. D’autres s’occupaient du fondant. Tarun Gattolliat et Marc Grandjean assemblaient les premiers mètres sur les deux tourelles, multipliant les allers-retours. A mesure que le jour se levait, les employés des ateliers et une quarantaine de bénévoles les ont rejoints; de même que les premiers curieux, avec l’ouverture du centre commercial.

La pâte à choux s’est étirée petit à petit… mais moins vite que prévu. La réalité s’est révélée plus contraignante que sur le papier. Point de panique cependant: ils avaient jusqu’à 16 heures pour achever le montage, prendre les mesures et distribuer tout le dessert.

En milieu de matinée, la chorégraphie bien réglée marqua un temps d’arrêt. Une légère tension s’est fait sentir. Vêtue d’un tailleur bleu, la juge du GWR Seyda Subasi est arrivée. En compagnie du directeur de l’EPAI, Rolf Wehren, elle est passée de poste en poste. L’officielle a observé, questionné et pris des notes.

Assemblé en huit heures, distribué en deux

Quelques heures et inévitables aléas plus tard (panne de batteur ou de fondant), le verdict n’allait plus tarder. Depuis les étages supérieurs, le public indiquait aux participants les dernières jonctions visibles de l’éclair. La pâtisserie devait en effet donner l’impression de n’être confectionnée que d’un seul tenant. Après huit heures de montage, elle était prête. Assistée d’un géomètre, Mme Subasi a relevé la mesure officielle. Une vingtaine de minutes plus tard, la sentence est tombée. Avec 862,9 mètres, le record est battu et la joie de l’assemblée immense.

Plus que la performance technique, Sara De Antoni, directrice des Ateliers de la Glâne, et Rolf Wehren, ont relevé dans leur discours «l’esprit d’équipe», «la confiance», «l’inclusion» et «l’aventure humaine exemplaire» générés par le projet. Des valeurs que les politiques ont également saluées.

Mais pas le temps de souffler: la partie officielle a peine terminée, il fallait distribuer l’intégralité de la pâtisserie. Le GWR n’accepte aucun gaspillage. Par morceaux, le géant est rapatrié, débité et empaqueté : 50 cm à l’attention du public et 100 cm pour ceux ayant soutenu l’opération en réservant leur part. En file indienne, les spectateurs ont patienté pour recevoir leur paquet. A la fermeture du supermarché, le record entrait dans l’histoire.

Galerie de photos – record du plus grand éclair du monde …»

Généreux épilogue

Le 2 septembre, les Ateliers de la Glâne ont invité partenaires et sponsors à Romont. L’objectif était de passer un moment convivial et reverser les bénéfices, selon les exigences du GWR. L’Association suisse des formateurs en sports adaptés (ASFSA) s’est ainsi vue remettre un chèque de 20000 francs. «Nous avons choisi l’ASFSA qui forme des moniteurs en sports adaptés pour permettre des activités en tandem ; une action qui offre la chance à chacun de participer et de vivre des expériences uniques», a précisé Sara De Antoni. Un apéritif gourmand a prolongé la soirée, marquant définitivement la fin d’un projet hors norme.

Texte et photo: Johann Ruppen

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