A la rue du Four à Yverdon-les-Bains, Séverin Gerber s’occupe de la boulangerie et Grégory Wyss du chocolaterie, depuis plus d’un an. Sous l’enseigne Gerber & Wyss, les associés et lauréats de la couronne boulangère aiment « les choses simples, sans chichi ni fioriture ». Rencontre…

A une époque où l’on accorde beaucoup d’importance au paraître, des artisans misent sur l’authenticité, sans artifice. Point de glaçages brillants ou de colorants dans la vitrine de Gerber & Wyss. « Nos produits doivent être bons pour la santé et avoir du goût. C’est seulement alors qu’ils peuvent être beaux, mais ce n’est pas une priorité », précise Grégory Wyss.
Avec le boulanger Séverin Gerber, le chocolatier a ouvert un magasin à Yverdon, l’année dernière. Ces trentenaires emploient six personnes dont deux apprentis. Ils se rencontrent en 2009, chez Philippe Rochat à Crissier (VD). L’idée d’ouvrir leur propre commerce germe. Les deux employés du chef étoilé partagent la même vision de l’artisanat. Séverin Gerber résume leur philosophie ainsi : « Des matières premières de qualité, des produits simples et une qualité d’exécution. »

Privilégier le régional

Les associés privilégient des ingrédients locaux, dans la mesure du possible. « C’est très important de collaborer avec nos voisins, plutôt que d’enrichir des industriels », lâche M. Wyss. « Un artisan doit travailler avec un artisan ; sinon, cela n’a pas de sens. Nous ne pouvons pas acheter de la matière première industrielle pour en faire un produit artisanal ! » Les produits laitiers et les œufs proviennent de fournisseurs régionaux et bios. Un paysan meunier leur livre des farines moulues sur meule de pierre. « Nous lui achetons entre 80 et 90% de sa production. »
Certaines matières premières ne se dénichent pas dans la région. « Il est très difficile de trouver des noisettes, par exemple. Elles viennent du Piémont. En revanche, le jour où quelqu’un du coin en propose, je serai le premier a lui en prendre. » Tous les ingrédients ne sont pas non plus issus de l’agriculture biologique. « Nous essayons de faire au mieux avec ce dont nous disposons à proximité », commente Grégory Wyss.

Respecter les producteurs

Gerber et Wyss essaient de convaincre les producteurs à cultiver les produits qui se font rares. C’est le cas pour griottes bios. Ces cerises se trouvent avec difficulté sur le marché. Les impératifs qu’implique la culture biologique, tels que la pose de filets contre les insectes autour des arbres, en seraient la cause. « Toutefois, deux griottiers bios pousseront sur le domaine Vuillemin à Pomy (VD), dès l’année prochaine », annonce Grégory Wyss.
Les agriculteurs qui osent prendre ces risques s’en sortiraient mieux que les autres. Il faut dire que les jeunes patrons ne discutent pas du prix de vente : « Nous ne le faisons pas, car sans matières premières nous ne confectionnons rien. Nous n’avons aucun mérite ! » Séverin Gerber précise : « En respectant les producteurs et les ingrédients, nous avons beaucoup plus de plaisir à travailler. Les produits sont meilleurs au final. »

Vendre au juste prix

L’utilisation de ces produits locaux impacte le prix des spécialités en magasin. « Au niveau du pain, souligne M. Gerber, nous achetons nos farines entre trois et quatre fois plus chères qu’une farine traditionnelle. Forcément au final, nous ne sommes pas dans la même gamme que d’autres boulangeries. (…) D’ailleurs, si nous calculions tout, nous devrions vendre nos pâtisseries encore plus chères ! »
La population en général n’accorderait pas assez de valeur à l’alimentation, notamment en raison des prix pratiqués par les grandes surfaces. Grégory Wyss est catégorique : « Si un produit est cher, ce n’est en tout cas pas chez l’artisan. D’un côté, on vous dit que 5,5 francs c’est beaucoup trop pour un mille-feuille à base de vraie vanille, de l’autre on dépense cette somme pour une bouteille d’eau, sur une terrasse. »

Imposer son style

Le nombre de clients qui se soucient de la qualité et de la traçabilité des produits augmente : « Depuis le premier jour, nous avons une clientèle régulière. La hausse est constante et nous n’avons pas de période creuse, ce qui est vraiment un signe positif. » Cela l’est d’autant plus que le magasin et ses neuf places assises ne sont pas situés sur une rue piétonne fréquentée. « Les personnes entrent dans notre boutique ne le font pas par hasard. Elles ont fait la démarche d’y arriver. »
La rue du Four doit son nom au fait qu’elle abritait le four banal au XIIIe siècle. Il était situé dans l’actuelle boulangerie-chocolaterie. La dernière affectation des lieux était un cabinet d’orthopédiste ; ce qui a plutôt arrangé MM. Wyss et Gerber, malgré des transformations conséquentes. « Nous avons toujours voulu créer quelque chose de A à Z afin d’imposer notre style et de bénéficier de notre propre clientèle. Cela permet aussi d’éviter les réflexions faisant référence aux spécialités et aux prix pratiqués par un ancien boulanger. »

Garder le contrôle

Côté avenir, les deux compères n’ont pas pour but de s’accroître. « Se développer, s’agrandir, se développer, s’agrandir… C’est compliqué. Il faut trouver du personnel compétent en qui avoir confiance. Au bout d’un moment, vous perdez le contrôle », justifie Grégory Wyss, avant de conclure, sourire aux lèvres. « Lorsque l’entreprise fonctionnera bien, nous fermerons un jour de plus pour aller se balader en famille. »

La passion n’attend pas le nombre des années

Séverin Gerber, 35 ans, et Grégory Wyss, 29 ans, ont remporté la couronne boulangère 2018. Remise par la BCS et l’Union suisse de la levure, elle récompense une entreprise qui se démarque par ses idées et ses actions sociales, économiques, professionnelles et écologiques. Les entrepreneurs ont été très honorés de recevoir cette distinction, comme l’a souligné M. Gerber : « Cela fait plaisir de se rendre compte que les acteurs de la branche reconnaissent notre travail. »
Pour les deux lauréats, l’enthousiasme n’attend pas le nombre des années : « Un jeune de quinze ans, motivé et passionné, sera bien meilleur qu’un artisan qui a vingt ans d’expérience, mais qui travaille par automatisme ! »

Chocolat pour Mme et M. Tout-le-monde

Dans toute leur production, le boulanger Séverin Gerber et le chocolatier Grégory Wyss ont le même souci de la qualité et d’authenticité. Côté chocolat, ils s’orientent vers des spécialités traditionnelles. « Nous faisons plus un chocolat pour Mme et M. Tout-le-monde que pour les connaisseurs. » Il est important de maîtriser ses classiques avant de vouloir tout revisiter, selon le confiseur : « Il n’y a rien de meilleur qu’un chocolat noir ou au lait, bien fait. Le chocolat est un produit qui se suffit en lui-même. Il n’a pas besoin de trop d’artifice. »
L’assortiment compte une pâte à tartiner, quelques plaques et une douzaine de pralinés. « Ce sont des produits simples. » Les variations insolites, à base de tomates-basilic ou de bolets, ne l’attirent pas. « C’est peut-être intéressant gustativement. Toutefois, après en avoir mangé un vous avez compris. Vous n’allez pas en consommer 500 grammes. Par contre, un bon chocolat aux noisettes, il sera difficile de s’en passer. Il va traverser les modes. »

Leur propre couverture

A moyen terme, Grégory Wyss souhaite produire sa propre couverture. Aujourd’hui, elle est l’unique semi-fabriqué utilisé dans l’entreprise. « Nous allons investir dans une ligne de production afin de confectionner notre chocolat de A à Z. (…) L’objectif est ainsi de collaborer uniquement avec des partenaires qui sont agriculteurs ou artisans, et se détacher ainsi de l’industrie. »
Les deux associés ont à cœur de travailler avec un cultivateur bio d’Amérique latine ou d’Afrique et de le rémunérer correctement. De nouveaux locaux seront nécessaires à cette installation.

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